Publié le
24/5/2022
Le pilotage d’activités et le pilotage de la performance économique sont deux piliers du pilotage des organisations. Ce sont deux disciplines à la fois interdépendantes et complémentaires. Comment les combiner pour transformer le modèle de pilotage de nos entreprises de façon cohérente et pertinente ?
Nous sommes aujourd’hui dans un environnement où la majorité de nos organisations sont confrontées à des transformations importantes, ce qui est d'autant plus criant depuis deux ans. Ces transformations sont de natures diverses :
- La transformation sociétale, qui contraint nos organisations à revoir les indicateurs qu'elles pilotent. Par exemple, une entreprise « à mission » a besoin de rendre des comptes et de produire des indicateurs de pilotage spécifiques, relativement différents des indicateurs « historiques ».
- La transformation générationnelle, qui s’opère et bouscule le rapport au monde du travail. Les nouvelles générations nous imposent de revoir la façon dont on pilote, dont on manage et dont on peut espérer collecter des informations utiles au pilotage.
- La transformation des pratiques, qui se développent davantage autour de l'agilité, que ce soit sur les méthodologies (Scrum, XP, …) ou sur des frameworks d'agilité à l'échelle (SAFE, Scrum@Scale, …) qui bousculent les rôles, les postures et les périmètres de responsabilités. Les systèmes de management évoluent eux aussi pour renforcer l’autonomie, la confiance, l’assemblage des compétences et la recherche des appétences (holacratie, entreprise libérée, …). Enfin, plus récemment, la crise sanitaire a impacté nos modes de fonctionnement avec un recours massif au télétravail, de la collaboration à distance et la nécessité de pouvoir partager et communiquer, …
- La transformation digitale, qui fait là aussi évoluer nos environnements technologiques et fait évoluer en permanence la relation que l'on a au travail, notamment sur les aspects de collaboration. Cela impacte évidemment les entreprises dans leur façon de faire et de piloter.
- Les crises, qu’elles soient sanitaires, sociales, économiques ou climatiques, sont là encore de nature à transformer nos organisations et les pratiques/curseurs de pilotage.
De nombreux analystes utilisent le terme VUCA (VICA en français pour Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu) pour décrire le monde dans lequel nous vivons. Sa simple évocation suffit à comprendre que la « prédictibilité » devient elle-même de plus en plus difficile. C’est pourtant un des piliers du « pilotage » que de pouvoir prévoir, anticiper. Il devient donc vital de réinventer nos métriques, de capter au mieux les signaux faibles pour être capable de réagir vite, d'ajuster en permanence un plan projets ou un plan produits, de revoir les priorités, de reconfigurer les moyens et de travailler de manière différente.
Pour nos organisations, l'adaptation et la transformation deviennent des « fonctions » fondamentales et pérennes.
Dans ce contexte de transformation, et en particulier de ce qu'induit l'agilité dans les pratiques et dans les modes de fonctionnement des équipes et des organisations, comment faire évoluer le modèle de pilotage, tant sur le volet performance économique que sur celui du pilotage des activités ?
Piloter, c'est avant tout prendre des décisions. Le pilotage doit permettre de s'assurer que les objectifs stratégiques fixés par une entreprise sont déclinés et exécutés opérationnellement et ce, quel que soit l'endroit où l’on se situe dans l'organisation. Le pilotage contribue également indirectement à assurer la pérennité de l'organisation, dans la mesure il vise à réguler les moyens alloués, au bon niveau et au bon endroit. Mais pour piloter, il faut de l’information utile, éclairante et qualitative ; et pour produire ces données, il est rapidement nécessaire de s’appuyer sur des outils qui en permettent la collecte, la transformation et la restitution.
En général, 3 finalités clés se détachent des outils de pilotage :
- Pouvoir réagir : collecter, visualiser et émettre des alertes synthétiques et lisibles nécessitant l’appui des décisionnaires
- Pouvoir anticiper et ajuster : avoir de la donnée prévisionnelle appuyée sur des hypothèses qui nous permet de prévoir, de voir devant
- Pouvoir décider : disposer d’informations pertinentes et suffisantes pour faire évoluer les trajectoires, en s’appuyant notamment sur des fonctionnalités de simulation et sur des représentations visuelles (reportings, dashboards…)
Évidemment, un dispositif de pilotage est très lié à la finalité de l'organisation dans laquelle il s'inscrit, et dans l'environnement duquel il dépend. Il n'y a pas de vérité absolue sur la pratique de pilotage et la « bonne » façon de piloter une organisation. Pour qu’un dispositif de pilotage soit porteur de valeur pour l’entreprise, il faut définir un modèle de pilotage, qui va s’appuyer, entre autres, sur 2 piliers clés que sont le pilotage d’activités et du pilotage économique.
Sur ce pilotage à double facettes, certains constats se dessinent, en se positionnant dans une logique d’IT et de DSI. Nous voyons souvent qu’au point de vue pilotage économique, les DSI savent pertinemment ce qu'elles dépensent (personnel, prestations, matériel, cloud, …) parce qu'elles maîtrisent leur budget. En revanche, elles ne savent pas forcément comment ces dépenses sont utilisées. D'où ce besoin d'avoir un modèle économique qui va permettre d'y voir clair et de piloter, notamment en termes de coût des activités et de coûts complets des services mis à disposition.
Actuellement, beaucoup d'entreprises lancent des plans de transformation digitaux assez significatifs en termes d'investissements, qui pour autant ne facilitent pas forcément le pilotage (chamboulement des organisations et des modes de fonctionnement). Parfois, les notions de Run et de Build sont « gommées », ce qui induit une vision moins claire sur le pilotage des coûts.
Par ailleurs, dans un monde en très forte incertitude, les DSI et les entreprises de façon générale ont besoin de pouvoir s'appuyer sur la scénarisation : être capable de se projeter en faisant des hypothèses (ex : effectifs en télétravail, rachat de concurrent et doublement du volume d'activité, situation de repli, …). Tous ces scénarii-là méritent d'être pris en compte et donc d’être mis en visibilité sur les dimensions pilotage d’activités et impact économique.
Un modèle économique IT permet d'avoir une vue des coûts qui va au-delà des dépenses par nature. En effet, pour avoir un dialogue vertueux avec ses métiers ou ses clients, il faut être capable de leur exposer le coût complet des services que la DSI leur met à disposition. Pour obtenir une visibilité de ces coûts complets, le modèle ABC (Activity Based Costing) permet d’apporter des éclairages via un cadre d’analyse des ressources, des activités et des produits/services. L’étape principale est de structurer la vision produit afin de nourrir le dialogue avec ses métiers/clients. Pour être en mesure de piloter le coût complet de ces services ou produits, il est primordial de s’appuyer sur un étage intermédiaire que sont les activités ; les activités représentent tout le quotidien opérationnel des équipes et permettent d’allouer aux services / produits les dépenses indirectes (qu’on ne sait pas affecter à un produit / service au moment où on les constate) et qui représentent un poids très important dans un budget IT
En partant des différents enjeux du pilotage et de ces quelques constats, quelles pratiques appliquer pour un modèle de pilotage qui a du sens ?
Lorsqu’un modèle de pilotage est mis en place, les usages des données et l’expérience utilisateur sont deux éléments centraux dans la qualité de la donnée qui sera produite. Pour que ces dispositifs de pilotage soient pertinents, il faut d’abord travailler sur la finalité de l’organisation puis définir un modèle de pilotage et un modèle de coûts qui supportent cette finalité. Dans un système de pilotage, plusieurs composants du SI vont permettre de produire de la donnée de pilotage. Il est donc important de se poser sur une version urbanisée du SI de pilotage : avoir des outils qui servent des finalités clairement identifiées, qui communiquent ou pas les uns avec les autres selon les besoins et usages identifiés.
Un autre enjeu est de travailler sur la fiabilité, la qualité de la donnée produite, en particulier lorsque la donnée repose une saisie déclarative. De nombreux biais dans nos organisations dégradent la qualité des données collectés. On peut, par exemple, citer la collecte des temps passés sur les activités : certains processus budgétaires (pré)historiques génèrent des objectifs individuels/collectifs qui poussent - directement ou indirectement - les collaborateurs/managers à imputer là où il y a encore de la marge, là où des objectifs sont en jeu… faussant ainsi la réalité des consommations et donc les analyses qui s’en suivent. Il faut identifier ces biais de production des informations mais également s’assurer de la capacité réelle de l’organisation à produire une donnée de qualité, en mesurant notamment l’effort nécessaire pour produire une donnée vs. le bénéfice que l’entreprise en retire si la donnée est produite de manière qualitative.
Les systèmes sont souvent trop granulaires et complexifient la prise de décision. La juste granularité des informations est donc un enjeu majeur dans la mise en œuvre d’un dispositif de pilotage.
Dans nos organisations, tout ne doit pas être géré en mode projet ! On ne pilote pas des activités récurrentes, des produits, ou des programmes comme on pilote des projets. Il est important de prendre en compte ces spécificités dans le dispositif de pilotage afin de ne pas imposer des niveaux de complexité injustifiés pour la gestion de certaines activités. Il est par ailleurs important de prendre en compte le niveau de maturité des équipes car il ne s’agit pas de déployer un système trop élaboré s’il n’est pas correctement appréhendable par les équipes.
Un benchmark n’a de valeur que si l’on peut comparer sur des choses comparables. Le meilleur retour d’expérience possible se base sur des chiffres adossés à un modèle commun sur lesquels on peut se poser des questions en travaillant à livre ouvert. Il vaut mieux se comparer dans un petit cercle, avec des personnes ayant la même logique, la même philosophie et le même modèle de coûts et/ou d’activités : cela va donner beaucoup plus d’enseignements, d’où l’intérêt de partager d’un référentiel commun pour modéliser à la fois ses activités et son pilotage économique.
> Modèle de coûts simple et exploitable : éviter de trop détailler et mettre le curseur sur le bon niveau d’analyse pour avoir un modèle simple, exploitable et robuste, qui fournisse en même temps une information de valeur
> Piloter par les jalons/livrables d’engagement : sur le pilotage d’activités, les questions de granularité, un certain nombre de croyances sont à challenger, notamment sur tout ce qui a trait à la planification détaillée. Il existe des bonnes pratiques autour du pilotage des engagements (jalons, livrables clés).
> Décorréler les analyses capacitaires court/moyen/long terme : ce n’est pas de la planification détaillée de ressources individuelles qui permet d’avoir une vision à 18 mois et encore moins à 3 ans. Il faut dé-contraindre ces horizons de planification.
> Ancrer l’agilité avec le management visuel : sortir du dogme des projets qui sont agiles ou qui ne le sont pas. Selon les familles de projets ou de produits, il s’agit de se demander sur quelles phases il est utile de recourir à des outils/pratiques de management visuel (animation de réunions, staffing ou delivery) ou plutôt des outils de communication de type planification (Gantt, Kanban board, …) pour donner plus de visibilité sur les délais des projets ou des activités.
Comme nous l'avons exposé dans cet article, le pilotage efficace des organisations s’appuie sur une déclinaison selon deux facettes :
- Pilotage opérationnel d’activité
- Pilotage économique
Ces deux composantes du pilotage doivent avant tout être menées de façon cohérente et synchronisée : l’aspect opérationnel doit naturellement tenir compte du volet économique. Réciproquement, le pilotage économique doit coller à la réalité opérationnelle pour permettre de prendre les bonnes décisions pour le futur.
Rédigé par Benjamin ELLENBOGEN, associé d'Easis et Joachim TREYER, directeur général de Cost House.